Bienvenue sur le site de "Ceux qui veulent le Pays pour tous"

Accueil > Archives > Des amis de notre bataille politique écrivent, parlent, déclarent... > RETOUR D’EXIL – MEMOIRES D’UN JEUNE HOMME FRANÇAIS

RETOUR D’EXIL – MEMOIRES D’UN JEUNE HOMME FRANÇAIS

dimanche 26 août 2007

RETOUR D’EXIL – MEMOIRES D’UN JEUNE HOMME FRANÇAIS

Tout d’abord je voudrais parler de mon grand-père et de mon père. Mon grand-père, les français l’ont pris en Algérie, il l’ont embarqué, ils lui ont mis un uniforme, donné un fusil, et il a commencé à faire la guerre pour la France.

C’était en 39. Il ne savait pas lire ni écrire, et mon père et ma grand-mère n’avaient aucune nouvelle pendant des mois, ils le croyaient mort. Finalement, son chef leur a envoyé une lettre et ils ont su qu’il était vivant.
Il a survécu et il est rentré en Algérie.

Ca a été le tour de mon père. Au début des années 60, il a été recruté pour venir travailler en France. A cette époque-là, ils avaient besoin de monde et il n’y avait pas de problèmes de papiers. Ils regardaient juste pour savoir si on était en bonne santé et sur le bateau.
Arrivé en France, il avait une adresse où aller, mais il ne savait pas lire, il montrait le papier aux gens et il a fini par arriver chez un cousin qui l’a hébergé.
Il a fait des petits boulots, puis il a été embauché dans l’usine SCHNEIDER à Chalons. C’était une grosse usine, il y est resté 17 ans.

Il a fait venir ma mère ils avaient déjà 2 enfants, et après moi je suis né ici en France. A l’époque c’était le droit du sol, et je suis né français.

Parfois, je discute avec certaines personnes, je leur raconte ce que mon père et mon grand-père ont fait pour la France, et ils disent : « Je me sens moins français que toi. »

En 84, ça allait mal, il y avait le chômage, l’usine avait des difficultés. Ils ont proposé le «  retour  » pour les ouvriers étrangers : l’ouvrier recevait 10.000 francs de l’époque (1500 euros à peu prés) pour « solde de tout compte. »

Ca voulait dire qu’il ne pouvait plus revenir, il partait, et l’argent ça représentait tous les droits de son travail : le droit au chômage, à la retraite, etc..

C’était une arnaque, pour l‘époque la somme ne représentait même pas une année de salaire.

Mais beaucoup d’ouvriers ont pris le retour. Il faut dire que il y avait un bureau dans l’usine elle-même pour faire signer les gens. Bref, mon père est parti et il a ramené toute la famille en Algérie. J’avais 9 ans. Ca m’a cassé, pour moi, c’était comme dans Les Visiteurs, mais à l’envers. Au lieu de voyager vers le futur, je suis reparti dans le passé.

Je ne parlais pas un mot d’arabe, et à 9 ans, c’est long, j’ai mis 2 ou 3 ans pour arriver à le lire et l’écrire. A l’école, j’étais nul, j’étais perdu. En France j’étais bon élève, je voulais devenir vétérinaire. On n’avait pas de logement, on vivait dans une ville, mais il n’y avait pas l’eau courante, on s’entassait à 9 dans une pièce. Les 10.000 francs ont vite fichu le camp, même si mon père a pu monter sa petite entreprise.

Moi, tous les jours, je me disais : « C’est pas possible, c’est pas ma vie, c’est pas mon avenir. »

Si je pouvais, je porterais plainte contre la France, car avec ce mensonge du « retour », elle m’a condamné à l’exil.

Avec le temps, mon père aussi regrettait, même si la situation s’est peu à peu arrangée pour la famille. Ma mère lui reprochait : « Tu as détruit la scolarité de nos enfants, leur avenir ».
De 9 à 18 ans, j’ai toujours été «  l’immigré  ».C’était ajouté à mon prénom, même pour mon père aussi.
A 10 ans, j’ai été mis dans une école pour les « immigrés ». on parlait tous de s’enfuir, de rentrer au pays, en France. C’était une idée fixe. A 14 ans, j’ai appris qu’il y avait un consulat de France à Oran, et j’ai commencé à entrevoir le bout du tunnel.

De 16 à 18 ans, j’ai commencé les démarches pour revenir en France.
Beaucoup de jeunes ont fait comme moi. Il fallait choisir le service national, en France ou en Algérie. J’ai choisi la France.

Je suis revenu. Mon père m’a accompagné, puis il est reparti. Je suis resté seul, d’abord chez un cousin, puis j’ai trouvé une chambre dans un foyer. Le premier jour où on m’a donné les clés de cette petite pièce, j’ai craint de regretter, je me suis retrouvé en larmes. J’étais tout seul personne pour parler, se balader. Parfois, la nuit, je me réveillais, je me disais « c’est une cauchemar ».

J’ai galéré, puis j’ai trouvé une formation à l’ AFPA, j’ai été embauché à Leader Price, j’ai pu prendre un appartement. Et j’ai commencé à faire revenir ma famille.
Mes frères et soeurs français d’abord, puis en 96 mon père est venu me rejoindre avec un visa touriste. Il s’est retrouvé sans-papiers, et c’est là que j’ai connu le premier collectif. Mon père, qui avait travaillé plus de 20 ans, en France, il est resté 2 ans sans-papiers, sa régularisation a été une de nos premières victoires. Il a eu une carte de visiteur.
En 98, tout le reste de la famille est venue, et une autre longue bataille a commencé, qu’on a gagnée finalement aussi, en Commission de séjour, grâce au Rassemblement.

Pour moi, c’était la moindre des choses de reconnaître que ma mère et mes jeunes sœurs ont le droit de vivre ici. Mon père est venu à 20 ans, il ne savait ni lire ni écrire, et encore aujourd’hui, il sait juste signer son nom. Mais pour travailler il était le bienvenu, comme son père avait été le bienvenu pour se battre.

Je pense que cette loi du retour, ça a fait sauter un verrou. Elle montrait déjà que pour le gouvernement d’alors, et pour les gens aussi, l’ouvrier ne comptait pas, ni sa famille. Ils n’ avaient rien a faire des gens, et c’est là qu’ils ont pu dire « immigrés » pour parler des ouvriers, comme s’ils n’étaient pas du pays.

C’est Mauroy, le ministre PS qui a dit que les ouvriers étrangers étaient « extérieurs aux réalités économiques et sociales de la France ». C’est là que ça a vraiment commencé, c’est grâce au retour qu’ils ont pu fermer les usines. Ils ont dit « C’est pas grave, c’est des immigrés, ils vont aller ailleurs ».

Les gens ont accepté, les ouvriers français et les ouvriers étrangers, et il y eu les licenciements massifs, des centaines de milliers d’ouvriers renvoyés en quelques années, sans révolte, sans rien.

Après, il y a eu les lois Pasqua pour enlever les papiers, et toutes les lois qui ont suivi, Chevènement et Sarkozy, à droite comme à gauche, pour faire travailler les ouvriers sans droits, et les persécuter.

Après le retour, il y a eu la réforme de la nationalité, avant c’était le droit du sol, et c’était simple, parce qu’un enfant qui naissait en France, il était français ou le deviendrait. Ca donnait une tranquillité, une égalité.

Maintenant, avec ce droit du sang, même si comme moi, on est français de naissance, les gens nous regardent toujours comme des étrangers.

C’est pour ça que notre principe au Rassemblement « Qui vit ici est d’ici » est le seul principe politique aujourd’hui qui peut permettre à chacun de trouver sa place dans ce pays, et aux gens de s’entendre pour vivre ensemble et faire un pays pour tous.

Lakhdar, avril 2006.

PDF - 63.3 ko